Lien de subordination en droit du travail à l’ère du numérique

Le numérique et le lien de subordination en droit du travail nous ont promis plus de liberté… et nous ont parfois livrés à de nouvelles formes de servitude, dictées par des algorithmes. En effet,  si l’essor du numérique promet liberté et autonomie aux salariés en termes de droit du travail, il transforme parfoisl ’employeur en Big Brother invisible….

 Le lien entre employeur et salarié repose depuis plus d’un siècle sur une notion juridique centrale : la subordination. Cette relation, à la fois hiérarchique et protectrice, constitue la pierre angulaire du contrat de travail. Mais à l’ère du numérique, marquée par le télétravail, l’essor des plateformes et l’omniprésence des outils digitaux, ce modèle est profondément bousculé. Le pouvoir de l’employeur ne disparaît pas : il se transforme, parfois de manière subtile, parfois brutale…

I. Aux origines du lien de subordination

Le lien de subordination, du latin subordinatio, traduit le rapport hiérarchique entre un employeuret un salarié. Cette notion soumet le travailleur aux ordres de l’employeur tout en lui offrant des protections particulières. De facto, ce lien est celui par lequel l'employeur exerce un pouvoir de direction sur le salarié : donner des ordres, en contrôler l'exécution ainsi que d’en sanctionner la mauvaise exécution. Enracinée dans la construction du contrat de travail, la subordination en est devenue la caractéristique centrale, malgré les controverses initiales. Son adoption comme critère du contrat résulte d’une évolution doctrinale assez unanime…

Historiquement, en droit civil existait le contrat de louage d’ouvrage, que dispose l’article 1710 du code civil : « Le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles. ». Soit, la prestation de service était ainsi reconnue comme un critère appart entière de définition du contrat de travail. Ainsi, l’enjeu eut été pendant longtemps de sortir de cette notion afin de trouver de nouveaux contours plus fiables et protecteurs dans la définition du contrat de travail.

De ce fait, sortir de la notion de prestation de service impliquait également d’exclure la dépendance économique comme critère. En effet, la dépendance économique ne saurait être un critère fiable pour détecter un contrat de travail, cette dernière pouvant exister dans plein de situations où il n’y a pas de lien de subordination juridique. A titre illustratif, un franchisé (cf. un gérant de fast-food sous enseigne internationale) dépend économiquement presque exclusivement de sa marque devant acheter ses produits via le réseau, respecter le cahier des charges, son chiffre d’affaires dépendant également fortement de la notoriété de lafranchise… Pour autant, ce dernier n’est pas un salarié, restant juridiquement un commerçant indépendant, sans lien de subordination personnel vis-à-vis dufranchiseur.

Ainsi, deux débats majeurs ont marqué cette construction :

  • Faut-il     fonder la relation de travail sur la dépendance économique ou sur la subordination juridique ?

C’est ainsi que dès le XXe siècle la jurisprudence a tranché. Dès le 6 juillet 1931, la Cour de cassation, en un arrêt Bardou, écarte la dépendance économique, au profit d’un critère juridique : le contrat de travail suppose un lien de subordination. Dès lors qu’un lien de subordination peut être identifié, le contrat de travail est qualifié juridiquement. En 1996 (Arrêt Société générale, n°94-13.187), la Cour de cassation stabilise la définition et la complète : exécuter un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements. C’est ainsi quele lien de subordination est qualifié comme critère central du contrat de travail.

Mais en ce sens, il est légitime de se demander, quel est l’intérêt de cette évolution jurisprudentielle pour l’individu salarié ?

II. Évolution et complexité du liende subordination

Le droit du travail, de par un certain déséquilibre entre l’employeur et le salarié, est un droit se voulant très protecteur de la partie faible (le salarié). En ce sens, il est de rigueur de constater que le moindre doute ou silence de la loi française profitera toujours au salarié. Si cette protection semble parfois très poussée, elle n’en est pas moins légitime qu’elle vise en réalité non seulement à protéger le salarié du déséquilibre contractuel du contrat de travail mais également de le protéger des potentielles dérives du contrat de travail qui pourraient être menées par l’employeur.

En ce sens, une question au cœur des débats également a été de se demander s’il fallait privilégier une approche contractualiste (la volonté des parties) ou économiste (privilégiant la réalité des faits). Face à cela, la stabilité apportée par la Cour decassation en 1931 et 1996 vient non seulement répondre à cette interrogation mais surtout y déposer un atout majeur : la définition s’applique à toutes les formes de travail, indépendamment de la volonté des parties. Ainsi, un contrat présenté comme une « prestation de service » ou comme contrat dit de bénévolat, peut être requalifié en contrat de travail si les faits révèlent une subordination, peu important la volonté des parties. De ce fait, le juge requalifiera tout contrat en contrat de travail dès lors que les éléments de subordination seront identifiés, sans prendre en compte la volonté des parties de conclure un contrat différent de celui du contrat de travail (tel fut le cas avec l’affaire Take it easy en 2018 et l’arrêt Uber eats en 2020, au sein desquels la Cour de cassation avait pu requalifier un simple contrat deprestation en contrat de travail.). Ainsi, il convient de faire un bref récap sur le lien de subordination comme prévu initialement par la jurisprudence française avant d’analyser les enjeux et évolutions de ce principe juridique à l’ère du numérique.

Les pouvoirs de l’employeur

Historiquement, l’autorité de l’employeur se décline en trois dimensions. Un pouvoir de direction : organiser la prestation (instructions, méthodes), un pouvoir de contrôle : vérifier la conformité du travail (désormais renforcé par les technologies : GPS, vidéo surveillance, logiciels de suivi) ainsi qu’un pouvoir de sanction : exercer un pouvoir disciplinaire en cas de manquement.

Les indices de subordination

Au-delà de ce noyau dur, la jurisprudence mobilise un faisceau d’indices, permettant au juge d’aller au-delà d’un simple critère, parfois difficile à identifier lorsque les employeurs mettent de l’effort pour dissimuler la réalité, permettant ainsi deprendre en compte : une intégration dans un service organisé, un lieu de travail et des horaires imposées… Aucun indice isolé ne suffit, mais leur accumulation permet de qualifier la relation de travail.

Un fait juridique et non une simple volonté

Le lien de subordination est une situation de fait : il ne dépend pas de l’étiquette contractuelle choisie par les parties. Ce principe " d'iindisponibilité " garantit que les protections du droit du travail s’appliquent dès lors que la relation correspond aux critères de la subordination.

III. Les enjeux du lien de subordination à l’ère du numérique

Derrière l’écran, l’autorité n’a pas disparu : elle s’est numérisée. La vraie question n’est plus “sommes-nous subordonnés ?” mais “qui tire les ficelles : le patron… ou l’algorithme ?”

À ce jour, force est de constater que le numérique bouleverse profondément les modes d’organisation du travail. La question est simple : la subordination existe-t-elle encore ? La réponse est oui, mais elle se transforme… L’émergence de nouvelles méthodes de travail ainsi que de nouveaux outils remettent drastiquement en cause le lien de subordination et le contrat de travail comme prévu en 1931, questionnant ainsi sur la rigidité de la loi, parfois se révélant peut-être inadaptée aux évolutions actuelles.

Télétravail et outils numériques

Slack's app logo
Slack's Logo 2025

L’essor des plateformes collaboratives (cf. Teams, Zoom, Slack) modifient la relation hiérarchique. Le salarié gagne en autonomie géographique, mais l’employeur conserve, et parfois renforce, son pouvoir de contrôle grâce aux outils digitaux. La frontière entre vie privée et professionnelle devient plus poreuse. En effet, prenons l’exemple de la plateforme de messagerie Teams, affichant une pastille orange dès qu’une inactivité prolongée est détectée. Un salarié en télétravail s’absentant une dizaine de minutes afin de profiter d’un temps de déconnexion et d’une pause, comme il le ferait au bureau, est directement plus facilement contrôlable par son employeur. Ainsi, en fonction de l’employeur, le temps de travail peut rapidement devenir plus contrôlé et la liberté du salarié réduite.

Nouvelles formes de management

Le numérique favorise un management « horizontal » et participatif, qui brouille les codes : tutoiement généralisé, convivialité affichée, hiérarchies plus souples. Mais derrière cette apparentel iberté se cache parfois une « dictature douce » : la pression morale, la culpabilisation et l’auto-contrôle remplacent les ordres explicites. Il devient plus difficile de trouver la frontière avec un ordre déguisé en apparent conseil bienveillant…

Plateformes et travail indépendant

mini cars with the uber's, lyft's brands logo on it

L’exemple d’Uber illustre les tensions actuelles : les chauffeurs sont présentés comme des indépendants, mais en réalité soumis à des consignes strictes, notés en permanence, contrôlés sur leurs trajets et exclus en cas de non-conformité. Derrière la promesse d’autonomie, c’est une nouvelle forme de subordination, masquée et algorithmique. Un algorithme dénué de toute humanité. De facto, pour les fonctions purement manufacturières il peut être de rigueur de constater une certaine perte d’autonomie dans leurs missions, souvent contrôlés par des intelligences artificielles encore une fois dénuées de souplesse dans leur analyse.

Une nouvelle génération de recrutements

different eggs with different shades to define the discrimination at work

Infine, de nos jours un phénomène croissant n’est qu’amplement constaté, il s’agit de l’émergence des intelligences artificielles dans l’analyse des profils pour le recrutement de candidats pour les entreprises. En effet, actuellement, de nombreuses entreprises passent par des outils algorithmiquesou par des intelligences artificielles afin de sélectionner certains profils et d’en exclure d’autres, soit le moyen le plus rapide d’analyser des milliers de profils en seulement quelques minutes.

Si cet outil promet gain de temps et de productivité pour les entreprises, l’utilisation non encadrée de ces derniers engendre en revanche exclusion et parfois même discrimination dans les recrutements. En effet, pour citer une question écrite n°03314, transmise au Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé du travail et de l'emploi, publiée dans le JO Sénat du 13/02/2025 (page 565) et disponible directement sur le site internet du Sénat : « En s'appuyant sur des données historiques, des mots-clés et des critères de sélection biaisés, les algorithmes reproduisent et amplifient de manière consciente ou inconscienteles inégalités de genre, raciales ou sociales qui ne reflètent pas et deconséquence écartent la diversité des compétences, des qualifications et des expériences. Or, contrairement à un recruteur humain, une intelligence artificielle n'est pas en mesure de contextualiser un parcours, de percevoir un potentiel ou d'ajuster son jugement. Elle applique mécaniquement des règles prédéfinies qui, biaisées, conduisent à l'exclusion systématique de certains profils, sans possibilité de réévaluation ou d'adaptation aux réalités individuelles. ».

Il est d’un temps où les profils de candidats ne sont plus analysés pour leur singularités mais parce que l’intelligence artificielle y retrouve des « critères sélectifs ». Le problème sociétal étant que, cela pourrait engendrer également, au-delà de grandes discriminations, une sorte « d’homogénéité » dans les Curriculum vitae à l’avenir, excluant toute singularité qui fonde pourtant l’humanité. Là où les différences devraient constituer une force, elles deviennent synonymes de défauts dans un avenir numérique dicté par les algorithmes…

Le numérique ne fait pas disparaître le lien de subordination : il le réinvente. Tantôt plus invisible (télétravail, management participatif), tantôt plus intrusif (algorithmes de contrôle, IA prescriptive), il reste au cœur de la relation de travail. Pour le droit, l’enjeu est clair : préserver les protections des travailleurs sans freiner l’innovation. La subordination, loin d’être un vestige du passé, pourrait bien devenir le terrain de bataille central du travail de demain. Ces mutations posent une question majeure : faut-il adapter la définition du lien de subordination, ou simplement reconnaître sa plasticité ? Plus largement, se dessine l’idée que toute personne qui travaille pour autrui devrait bénéficier d’un socle minimal de droits, indépendamment du statut contractuel.

Pour comprendre comment les algorithmes influencent déjà le droit de manière souvent invisible, découvre aussi notre article “Les biais algorithmiques en justice” sur CtrlZed. 🔗

Pourquoi le lien de subordination est-il si important en droit du travail ?


Parce qu’il distingue le salarié de l’indépendant. Si une personne est considérée comme subordonnée, elle bénéficie automatiquement des protections du droit du travail (salaire minimum, congés, assurance chômage, sécurité sociale,etc.).

 

Le numérique a-t-il fait disparaître la subordination ?

Non, il l’a transformée. Le télétravail, les plateformes numériques ou encore l’intelligence artificielle modifient la manière dont l’autorité s’exerce, mais l’employeur garde toujoursun pouvoir de direction, de contrôle et de sanction.

 

Quels outils numériques renforcent le pouvoir de l’employeur ?

Les logiciels de suivi (Teams,Slack), la géolocalisation (GPS), la vidéo surveillance, ou encore l’IA qui dicte les tâches dans certains entrepôts. Ces technologies permettent un contrôle parfois plus intrusif qu’auparavant.

 

La jurisprudence va-t-elle changer la définition du lien de subordination ?

Pour l’instant, la Cour decassation défend la définition classique (arrêt Société générale 1996). Certains juristes proposent toutefois de l’élargir, par exemple en intégrant la notion d’“appartenance à un service organisé” afin de contrer les nouvelles formes d’organisation de travail qui viennent parfois flouter celles plus traditionnelles.

 

Quel est l’enjeu pour l’avenir dutravail ?

Assurer que tous ceux qui travaillent pour autrui bénéficient d’un socle minimal de droits, quel que soitle statut ou le support numérique utilisé. En somme, éviter que le numérique serve à contourner la protection du salarié.

 

 Auteur : Lucy Hersant

Le numérique et le lien de subordination en droit du travail nous ont promis plus de liberté… et nous ont parfois livrés à de nouvelles formes de servitude, dictées par des algorithmes. En effet,  si l’essor du numérique promet liberté et autonomie aux salariés en termes de droit du travail, il transforme parfoisl ’employeur en Big Brother invisible….

 Le lien entre employeur et salarié repose depuis plus d’un siècle sur une notion juridique centrale : la subordination. Cette relation, à la fois hiérarchique et protectrice, constitue la pierre angulaire du contrat de travail. Mais à l’ère du numérique, marquée par le télétravail, l’essor des plateformes et l’omniprésence des outils digitaux, ce modèle est profondément bousculé. Le pouvoir de l’employeur ne disparaît pas : il se transforme, parfois de manière subtile, parfois brutale…

I. Aux origines du lien de subordination

Le lien de subordination, du latin subordinatio, traduit le rapport hiérarchique entre un employeuret un salarié. Cette notion soumet le travailleur aux ordres de l’employeur tout en lui offrant des protections particulières. De facto, ce lien est celui par lequel l'employeur exerce un pouvoir de direction sur le salarié : donner des ordres, en contrôler l'exécution ainsi que d’en sanctionner la mauvaise exécution. Enracinée dans la construction du contrat de travail, la subordination en est devenue la caractéristique centrale, malgré les controverses initiales. Son adoption comme critère du contrat résulte d’une évolution doctrinale assez unanime…

Historiquement, en droit civil existait le contrat de louage d’ouvrage, que dispose l’article 1710 du code civil : « Le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles. ». Soit, la prestation de service était ainsi reconnue comme un critère appart entière de définition du contrat de travail. Ainsi, l’enjeu eut été pendant longtemps de sortir de cette notion afin de trouver de nouveaux contours plus fiables et protecteurs dans la définition du contrat detravail.

De ce fait, sortir de la notion de prestation de service impliquait également d’exclure la dépendance économique comme critère. En effet, la dépendance économique ne saurait être un critère fiable pour détecter un contrat de travail, cette dernière pouvant exister dans plein de situations où il n’y a pas de lien de subordination juridique. A titre illustratif, un franchisé (cf. un gérant de fast-food sous enseigne internationale) dépend économiquement presque exclusivement de sa marque devant acheter ses produits via le réseau, respecter le cahier des charges, son chiffre d’affaires dépendant également fortement de la notoriété de lafranchise… Pour autant, ce dernier n’est pas un salarié, restant juridiquement un commerçant indépendant, sans lien de subordination personnel vis-à-vis dufranchiseur.

Ainsi, deux débats majeurs ont marqué cette construction :

  • Faut-il     fonder la relation de travail sur la dépendance économique ou sur la subordination juridique ?

C’est ainsi que dès le XXe siècle la jurisprudence a tranché. Dès le 6 juillet 1931, la Cour de cassation, en un arrêt Bardou, écarte la dépendance économique, au profit d’un critère juridique : le contrat de travail suppose un lien de subordination. Dès lors qu’un lien de subordination peut être identifié, le contrat de travail est qualifié juridiquement. En 1996 (Arrêt Société générale, n°94-13.187), la Cour de cassation stabilise la définition et la complète : exécuter un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements. C’est ainsi quele lien de subordination est qualifié comme critère central du contrat de travail.

Mais en ce sens, il est légitime de se demander, quel est l’intérêt de cette évolution jurisprudentielle pour l’individu salarié ?

II. Évolution et complexité du liende subordination

Le droit du travail, de par un certain déséquilibre entre l’employeur et le salarié, est un droit se voulant très protecteur de la partie faible (le salarié). En ce sens, il est de rigueur de constater que le moindre doute ou silence de la loi française profitera toujours au salarié. Si cette protection semble parfois très poussée, elle n’en est pas moins légitime qu’elle vise en réalité non seulement à protéger le salarié du déséquilibre contractuel du contrat de travail mais également de le protéger des potentielles dérives du contrat de travail qui pourraient être menées par l’employeur.

En ce sens, une question au cœur des débats également a été de se demander s’il fallait privilégier une approche contractualiste (la volonté des parties) ou économiste (privilégiant la réalité des faits). Face à cela, la stabilité apportée par la Cour decassation en 1931 et 1996 vient non seulement répondre à cette interrogation mais surtout y déposer un atout majeur : la définition s’applique à toutes les formes de travail, indépendamment de la volonté des parties. Ainsi, un contrat présenté comme une « prestation de service » ou comme contrat dit de bénévolat, peut être requalifié en contrat de travail si les faits révèlent une subordination, peu important la volonté des parties. De ce fait, le juge requalifiera tout contrat en contrat de travail dès lors que les éléments de subordination seront identifiés, sans prendre en compte la volonté des parties de conclure un contrat différent de celui du contrat de travail (tel fut le cas avec l’affaire Take it easy en 2018 et l’arrêt Uber eats en 2020, au sein desquels la Cour de cassation avait pu requalifier un simple contrat deprestation en contrat de travail.).

Ainsi, il convient de faire un bref récap sur le lien de subordination comme prévu initialement par la jurisprudence française avant d’analyser les enjeux et évolutions de ce principe juridique à l’ère du numérique.

Les pouvoirs de l’employeur

Historiquement, l’autorité de l’employeur se décline en trois dimensions. Un pouvoir de direction : organiser la prestation (instructions, méthodes), un pouvoir de contrôle : vérifier la conformité du travail (désormais renforcé par les technologies : GPS, vidéo surveillance, logiciels de suivi) ainsi qu’un pouvoir de sanction : exercer un pouvoir disciplinaire en cas de manquement.

Les indices de subordination

Au-delà de ce noyau dur, la jurisprudence mobilise un faisceau d’indices, permettant au juge d’aller au-delà d’un simple critère, parfois difficile à identifier lorsque les employeurs mettent de l’effort pour dissimuler la réalité, permettant ainsi deprendre en compte : une intégration dans un service organisé, un lieu de travail et des horaires imposées… Aucun indice isolé ne suffit, mais leur accumulation permet de qualifier la relation de travail.

Un fait juridique et non une simple volonté

Le lien de subordination est une situation de fait : il ne dépend pas de l’étiquette contractuelle choisie par les parties. Ce principe " d'iindisponibilité " garantit que les protections du droit du travail s’appliquent dès lors que la relation correspond aux critères de la subordination.

III. Les enjeux du lien de subordination à l’ère du numérique

Derrière l’écran, l’autorité n’a pas disparu : elle s’est numérisée. La vraie question n’est plus “sommes-nous subordonnés ?” mais “qui tire les ficelles : le patron… ou l’algorithme ?”

À ce jour, force est de constater que le numérique bouleverse profondément les modes d’organisation du travail. La question est simple : la subordination existe-t-elle encore ? La réponse est oui, mais elle se transforme… L’émergence de nouvelles méthodes de travail ainsi que de nouveaux outils remettent drastiquement en cause le lien de subordination et le contrat de travail comme prévu en 1931, questionnant ainsi sur la rigidité de la loi, parfois se révélant peut-être inadaptée aux évolutions actuelles.

Télétravail et outils numériques

Slack's Logo 2025

L’essor des plateformes collaboratives (cf. Teams, Zoom, Slack) modifient la relation hiérarchique. Le salarié gagne en autonomie géographique, mais l’employeur conserve, et parfois renforce, son pouvoir de contrôle grâce aux outils digitaux. La frontière entre vie privée et professionnelle devient plus poreuse. En effet, prenons l’exemple de la plateforme de messagerie Teams, affichant une pastille orange dès qu’une inactivité prolongée est détectée. Un salarié en télétravail s’absentant une dizaine de minutes afin de profiter d’un temps de déconnexion et d’une pause, comme il le ferait au bureau, est directement plus facilement contrôlable par son employeur. Ainsi, en fonction de l’employeur, le temps de travail peut rapidement devenir plus contrôlé et la liberté du salarié réduite.

Nouvelles formes de management

Le numérique favorise un management « horizontal » et participatif, qui brouille les codes : tutoiement généralisé, convivialité affichée, hiérarchies plus souples. Mais derrière cette apparentel iberté se cache parfois une « dictature douce » : la pression morale, la culpabilisation et l’auto-contrôle remplacent les ordres explicites. Il devient plus difficile de trouver la frontière avec un ordre déguisé en apparent conseil bienveillant…

Plateformes et travail indépendant

L’exemple d’Uber illustre les tensions actuelles : les chauffeurs sont présentés comme des indépendants, mais en réalité soumis à des consignes strictes, notés en permanence, contrôlés sur leurs trajets et exclus en cas de non-conformité. Derrière la promesse d’autonomie, c’est une nouvelle forme de subordination, masquée et algorithmique. Un algorithme dénué de toute humanité. De facto, pour les fonctions purement manufacturières il peut être de rigueur de constater une certaine perte d’autonomie dans leurs missions, souvent contrôlés par des intelligences artificielles encore une fois dénuées de souplesse dans leur analyse.

Une nouvelle génération de recrutements

Infine, de nos jours un phénomène croissant n’est qu’amplement constaté, il s’agit de l’émergence des intelligences artificielles dans l’analyse des profils pour le recrutement de candidats pour les entreprises. En effet, actuellement, de nombreuses entreprises passent par des outils algorithmiquesou par des intelligences artificielles afin de sélectionner certains profils et d’en exclure d’autres, soit le moyen le plus rapide d’analyser des milliers de profils en seulement quelques minutes.

Si cet outil promet gain de temps et de productivité pour les entreprises, l’utilisation non encadrée de ces derniers engendre en revanche exclusion et parfois même discrimination dans les recrutements. En effet, pour citer une question écrite n°03314, transmise au Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé du travail et de l'emploi, publiée dans le JO Sénat du 13/02/2025 (page 565) et disponible directement sur le site internet du Sénat : « En s'appuyant sur des données historiques, des mots-clés et des critères de sélection biaisés, les algorithmes reproduisent et amplifient de manière consciente ou inconscienteles inégalités de genre, raciales ou sociales qui ne reflètent pas et deconséquence écartent la diversité des compétences, des qualifications et des expériences. Or, contrairement à un recruteur humain, une intelligence artificielle n'est pas en mesure de contextualiser un parcours, de percevoir un potentiel ou d'ajuster son jugement. Elle applique mécaniquement des règles prédéfinies qui, biaisées, conduisent à l'exclusion systématique de certains profils, sans possibilité de réévaluation ou d'adaptation aux réalités individuelles. ».

Il est d’un temps où les profils de candidats ne sont plus analysés pour leur singularités mais parce que l’intelligence artificielle y retrouve des « critères sélectifs ». Le problème sociétal étant que, cela pourrait engendrer également, au-delà de grandes discriminations, une sorte « d’homogénéité » dans les Curriculum vitae à l’avenir, excluant toute singularité qui fonde pourtant l’humanité. Là où les différences devraient constituer une force, elles deviennent synonymes de défauts dans un avenir numérique dicté par les algorithmes…

Le numérique ne fait pas disparaître le lien de subordination : il le réinvente. Tantôt plus invisible (télétravail, management participatif), tantôt plus intrusif (algorithmes de contrôle, IA prescriptive), il reste au cœur de la relation de travail. Pour le droit, l’enjeu est clair : préserver les protections des travailleurs sans freiner l’innovation. La subordination, loin d’être un vestige du passé, pourrait bien devenir le terrain de bataille central du travail de demain. Ces mutations posent une question majeure : faut-il adapter la définition du lien de subordination, ou simplement reconnaître sa plasticité ? Plus largement, se dessine l’idée que toute personne qui travaille pour autrui devrait bénéficier d’un socle minimal de droits, indépendamment du statut contractuel.

Pour comprendre comment les algorithmes influencent déjà le droit de manière souvent invisible, découvre aussi notre article “Les biais algorithmiques en justice” sur CtrlZed. 🔗

Pourquoi le lien de subordination est-il si important en droit du travail ?


Parce qu’il distingue le salarié de l’indépendant. Si une personne est considérée comme subordonnée, elle bénéficie automatiquement des protections du droit du travail (salaire minimum, congés, assurance chômage, sécurité sociale,etc.).

 

Le numérique a-t-il fait disparaître la subordination ?

Non, il l’a transformée. Le télétravail, les plateformes numériques ou encore l’intelligence artificielle modifient la manière dont l’autorité s’exerce, mais l’employeur garde toujoursun pouvoir de direction, de contrôle et de sanction.

 

Quels outils numériques renforcent le pouvoir de l’employeur ?

Les logiciels de suivi (Teams,Slack), la géolocalisation (GPS), la vidéo surveillance, ou encore l’IA qui dicte les tâches dans certains entrepôts. Ces technologies permettent un contrôle parfois plus intrusif qu’auparavant.

 

La jurisprudence va-t-elle changer la définition du lien de subordination ?

Pour l’instant, la Cour decassation défend la définition classique (arrêt Société générale 1996). Certains juristes proposent toutefois de l’élargir, par exemple en intégrant la notion d’“appartenance à un service organisé” afin de contrer les nouvelles formes d’organisation de travail qui viennent parfois flouter celles plus traditionnelles.

 

Quel est l’enjeu pour l’avenir dutravail ?

Assurer que tous ceux qui travaillent pour autrui bénéficient d’un socle minimal de droits, quel que soitle statut ou le support numérique utilisé. En somme, éviter que le numérique serve à contourner la protection du salarié.

 

 

Auteur : Lucy Hersant